— Jérôme maillet & Macula Nigra
— 3 décembre 2020
27 février 2021
RÉSERVE
Jérôme Maillet &
Macula Nigra
Sortie de résidence
des réserves du
Muséum de Nantes
Nantes
Rennes
RÉSERVE
Reçus en résidence dans les réserves et à la bibliothèque scientifique du Muséum de Nantes Métropole, les artistes Jérôme Maillet et Macula Nigra ( Loïc Creff ) ont préparé une nouvelle exposition pour l’espace MIRA.
Les réserves du Muséum, inconnues du grand public, constituent la partie immergée de l’iceberg. Elles ont pour fonction d’inventorier, étudier, restaurer le patrimoine de l’Histoire Naturelle, afin d’assurer sa conservation pour les générations futures et présentes. Elles sont divisées en quatre collections : Zoologie, Sciences de la Terre et de l’Univers, Ethnologie et Botanique.
Les artistes ont visité l’ensemble des collections, et consulté des ouvrages du fond ancien et patrimonial de la bibliothèque scientifique du Muséum.
Nous remercions vivement toute l’équipe du Muséum et plus particulièrement :
Philippe Guillet Directeur du Muséum
Luc Remy Directeur-adjoint et responsable du service Science et Patrimoine
Anne Bergère responsable de la bibliothèque scientifique
Denis Demarque responsable des collections Sciences de la Terre et de l’Univers
Thierry Boisgard mouleur du Muséum de Nantes
Sébastien Vaydie responsable de l’éclairage
Sur une invitation de l’équipe MIRA, la critique d’art et conférencière Eva Prouteau a écrit un texte sur l’exposition RÉSERVE.
RÉSERVE
Banalisé, anonyme, dressé au cœur d’une zone pavillonnaire : le bâtiment qui abrite une partie des collections du muséum d’histoire naturelle de Nantes arbore une architecture neutre, que seule une double rangée de grillage électrifié fait basculer dans l’exceptionnel, inaccessible au public. À l’intérieur, haute technologie normée : épais murs de béton, propriétés antisismiques, 7,50 m de hauteur sous plafond, système anti-incendie à l’azote, puissant extracteur de poussières, régulation permanente de la température toute l’année et hygrométrie irréprochable. L’éclairage y est incisif, ponctué par la blancheur des néons. C’est là, dans ce lieu qui rappelle l’atmosphère de 2001 Odyssée de l’espace, que tout commence.
FICTION BLEUTÉE
Invités à explorer ces réserves dans le cadre d’une résidence et carte blanche offerte par l’espace MIRA, Jérôme Maillet et Macula Nigra (Loïc Creff ) sont d’emblée confrontés à un paradoxe : dans cette enveloppe architecturale high tech à l’épure minimale, s’accumulent des trésors de vieilleries stockées de manière un peu foutraque, un inventaire de minéraux biscornus, d’animaux exotiques naturalisés ou d’herbiers minutieux. Ce décorum proche du capharnaüm, cousin du cabinet de curiosité, fourmille de rapprochements visuels insolites et de lignes baroques. Au centre de l’exposition proposée à l’espace MIRA, les deux artistes ont posé des boîtes d’archive sur une grande table : elles contiennent des images prises lors de la découverte de ce site, documents qui contextualisent la genèse du projet, en même temps qu’ils font déjà basculer ces objets de collection, notamment les grands spécimens empaillés, dans la fiction bleutée du cyanotype.
DEHORS
Comment le duo a-t-il procédé pour concevoir son exposition ? Pas facile d’entrer dans la danse de ce qui se raconte à l’intérieur d’un tel lieu, où le dialogue formel entre l’enveloppe et son contenu ouvre des perspectives pleines de tensions complexes… Le premier geste radical de Jérôme Maillet et Macula Nigra fut le pas de côté : sortir, s’éloigner dans l’espace et le temps, pour mieux appréhender cette matière visuelle emmêlée, et se projeter mentalement dans le processus même de constitution d’une collection.
Qui va prélever toutes ces choses qui nous aident à comprendre l’agencement du monde ? Quels voyages ont fait ces objets avant de se retrouver dans ces réserves ? Certains récits sont glorieux, nourris de campagnes en Afrique ou au Pôle Nord, d’autres histoires sont toutes petites, des miettes de curiosité, comme celle de ce chihuahua naturalisé à la demande de son maître attristé. Les deux artistes s’emparent de cette dynamique, qui traduit l’exploration du monde à des échelles très diverses : l’imagerie cartographique joue à plein dans l’exposition, traversée par les carroyages 1, les fuseaux et les échelles de relevés topographiques. L’abstraction des lignes de projection cartographique se laisse envahir par des fragments photographiques de paysages, l’organique côtoie le géométrique, le lointain embrasse le proche, et toutes les échelles se télescopent. L’imaginaire est celui des grands espaces encore indéchiffrés, ponctués d’expéditions polaires et d’architectures nomades comme celle des baraquements Fillod 2, entièrement modulables : des architectures basiques qui rappellent les réserves du muséum.
RETOUR AUX ÉCOSYSTÈMES
Autre axe qui structure le propos de l’exposition : penser l’inventaire et le classement systématique du monde organique et minéral, tout en cherchant toujours à rattacher les objets aux écosystèmes dont ils proviennent. Les réserves minéralogiques du muséum ont inspiré aux artistes plusieurs dessins et cyanotypes, où le spécimen rocheux rejoint son paysage originel. La grande sérigraphie Réserve III synthétise bien ces enjeux : on y distingue un groupe de personnages rassemblés dans un environnement non-architecturé, qui abrite, légèrement caché, un bloc qui semble être la cible de l’expédition. Une fois déterré, extrait du paysage naturel, l’objet prend forme, et glisse tranquillement vers sa nouvelle condition, celle d’un spécimen muséal, du type de ceux que l’on aperçoit en fond de composition, bijoux géométriques soclés, déjà muséographiés. Par le traitement technique d’impression sérigraphique, ces fragments soclés apparaissent en réserve, par l’absence de la couche d’encre verte : une métaphore de leur appartenance originelle à la grande matrice naturelle, essence de leur véritable identité.
GRAND SOMMEIL
La dimension fantasmatique de cette exposition n’est pas en reste : elle est imprégnée de l’atmosphère presqu’onirique qui caractérise les réserves muséales, où une foule d’objets mystérieux semble plongée dans un grand sommeil, en attente d’apparition, de revitalisation. Parées d’énigmes, les météorites se laissent regarder au travers d’étoffes légères ; un crâne attend son heure, arrimé à son étiquette d’identification ; des trophées d’animaux à cornes caressent l’espoir d’une sortie au grand jour. Seul un corail-cerveau parade sous vitrine dans l’espace MIRA : prêté par le muséum, ce beau spécimen tient son nom des circonvolutions qui parcourent sa surface, succession labyrinthique de crêtes et de vallées. Juste à côté de lui, les artistes ont peint un aplat noir : une absence, celle de l’objet fantôme qui lui, reste en réserve.
PENSER LA MUSÉOGRAPHIE
Dans les recherches de Macula Nigra et Jérôme Maillet, l’architecture constitue un leitmotiv important : ce sujet d’expérimentation visuelle se combine ici à la question de la muséographie, déjà prévalente dans les réserves d’un musée, et articulées aux notions de rangement, de tri, de classement. Dans une composition qui rappelle les collages de Superstudio 3, Macula Nigra imagine la duplication d’un rayonnage à l’infini, que le paysage vient contaminer. Jérôme Maillet explore de son côté la question du socle, ou tente de redonner une forme à l’informe, un peu comme le taxidermiste le ferait avec des peaux animales.
D’autres œuvres abordent certaines techniques de la minéralogie, experte en mise en scène des pierres précieuses et des météorites par l’utilisation, entre autres, de la coupe franche et du polissage. Ce travail de métamorphose de la matière brute structure ainsi le diptyque de Jérôme Maillet et Macula Nigra intitulé Réserve I, où de nombreux indices évoquent la roche en cours de façonnage, et en miroir, le paysage qui se déploie ou se replie autour d’elle. Parfois enfin, l’architecture s’exprime par des micro-détails : un vieux squelette maintenu par une construction hyper contemporaine, ou un petit caisson cartonné bricolé pour protéger la nageoire d’un poisson exotique. Pour les deux artistes, il était impératif de réinventer des classements et de nouvelles architectures face à cette saturation d’objets : une façon de transcrire l’expérience de cette résidence foisonnante, et de permettre à leurs images de regagner du souffle.
CYANOTYPE ET FEUILLE D’OR
Très présent dans l’exposition, le cyanotype est un procédé photographique monochrome négatif ancien, par le biais duquel on obtient un tirage photographique bleu de Prusse, bleu cyan. Cette technique archaïque, qui servait d’ailleurs pour les reproductions cartographiques, permet à Macula Nigra et Jérôme Maillet de quitter l’élaboration numérique pour revenir au collage primitif, réalisé à base de fragments de feuilles Rhodoïd découpés puis assemblés par de petits morceaux de scotch. Le cyanotype devient alors synonyme de grande liberté, expression pleine de la vitalité de ce qui n’est pas figé, de ce qui est perfectible et mouvant d’un tirage à l’autre.
Ce procédé s’allie parfois à la feuille d’or, métal précieux qui renvoie aux pépites croisées dans les réserves : une manière de rappeler que le processus de travail de ces artistes relève en tous points de l’assemblage, de techniques et de matériaux à la fois anciens et contemporains, et de motifs à la fois réalistes et abstraits, nostalgiques et futuristes.
PAYSAGES POLYSÉMIQUES
En conclusion, il faut souligner la qualité polysémique des compositions de Jérôme Maillet et Macula Nigra : par la poésie du collage et de l’imbrication, les voies lactées se reposent sur les reliefs montagneux, les rochers mutent en marqueterie géométrique, et les circonvolutions d’un corail-cerveau se transforment en surfaces extra-terrestres immenses. Les fragments que ces deux artistes mettent en présence génèrent des univers en suspens et en alerte, qui flottent ou ondoient, à la croisée de plusieurs lectures : autant de visions qui refusent de se figer et qui troublent par leur caractère vif et furtif, celui des hallucinations et des mirages.
Éva Prouteau
Notes
1 – Technique de quadrillage utilisée en topographie, afin de traiter des données en vue d’une exploitation cartographique, qui consiste à délimiter une surface en carrés identiques et localisés.
2 – Chaudronnier de formation, Ferdinand Fillod a breveté en 1929 la fabrication de maisons préfabriquées en acier. De 1929 à 1949, il conçoit de nombreux bâtiments métalliques préfabriqués pour le monde entier.
3 – Groupe radical fondé à Florence en 1966-67, Superstudio revendique, dans ces années de contestation, une pratique conceptuelle et iconoclaste de l’architecture. À travers photomontages, prototypes de mobilier, films ou textes aux accents provocateurs, le groupe développe une critique de la culture pop anglo-saxonne. Les compositions de Loïc Creff rappelle parfois certains photomontages du projet Il Monumento continuo, des paysages ou des villes recouverts d’une grille orthogonale blanche à la fois envahissante et immatérielle, à la fois critique et utopique.
“Le premier geste radical de Jérôme Maillet et Macula Nigra fut le pas de côté : sortir, s’éloigner dans l’espace et le temps, pour mieux appréhender cette matière visuelle emmêlée, et se projeter mentalement dans le processus même de constitution d’une collection”
Jérôme Maillet & Macula Nigra
sérigraphie . cyanotype . dorure
“une manière de rappeler que le processus de travail de ces artistes relève en tous points de l’assemblage, de techniques et de matériaux à la fois anciens et contemporains, et de motifs à la fois réalistes et abstraits, nostalgiques et futuristes.”
Réserve III sérigraphie / 70x100cm / papier Sirio 280gr / tirée à 15 exemplaires
Réserve I diptyque cyanotype et dorure / 50x70cm / papier Rivoli 240gr / tiré à 8 exemplaires
Réserve II cyanotype et dorure / 50 x 70 cm / papier Rivoli 240 gr / tiré à 8 exemplaires / numérotés et signés
“Jérôme Maillet explore de son côté la question du socle, ou tente de redonner une forme à l’informe, un peu comme le taxidermiste le ferait avec des peaux animales.”
Jérôme Maillet
Dessin . aquarelle . sérigraphie
Collecte . Archives . Empreinte . Distance . Archéologie . Duplicata . Statue . Origines . Collecte . Spécimen . Archives . Entracte . Géologie . Attente
Série de 26 dessins au stylo, graphite, lavis, encre sur papier Moulin de Roy et Ursus 300 gr, de dimensions 21×29,7 cm
Vous trouverez tous les détails dans le catalogue de l’exposition.
“La dimension fantasmatique de cette exposition n’est pas en reste : elle est imprégnée de l’atmosphère presqu’onirique qui caractérise les réserves muséales, où une foule d’objets mystérieux semble plongée dans un grand sommeil, en attente d’apparition, de revitalisation.”
Specimen I sérigraphie / 40 x 40 cm / papier Fabriano 300 gr /tirée à 10 exemplaires numérotés et signés
Specimen II sérigraphie / 40 x 40 cm / papier Fabriano 300 gr /tirée à 10 exemplaires numérotés et signés
Specimen III sérigraphie, feuille d’or, encre / 40 x 40 cm / papier Fabriano 300 gr / tirée à 10 exemplaires numérotés et signés
“Seul un corail-cerveau parade sous vitrine dans l’espace MIRA : prêté par le muséum, ce beau spécimen tient son nom des circonvolutions qui parcourent sa surface, succession labyrinthique de crêtes et de vallées. Juste à côté de lui, les artistes ont peint un aplat noir : une absence, celle de l’objet fantôme qui lui, reste en réserve.”
Corail «Cerveau de Vénus» Flaviidae Collection Muséum d’histoire naturelle de la ville de Nantes.
Macula Nigra
cyanotype . dorure
Projection cyanotype et feuille d’or / 50 x 50 cm / papier Rivoli 240 gr / tiré à 9 exemplaires / numérotés et signés
Base cyanotype et feuille d’or / 50 x 50 cm / papier Rivoli 240 gr / tiré à 9 exemplaires / numérotés et signés
Archipel cyanotype et feuille d’or / 50 x 50 cm / papier Rivoli 240 gr / tiré à 9 exemplaires / numérotés et signés
“l’imagerie cartographique joue à plein dans l’exposition, traversée par les carroyages 1, les fuseaux et les échelles de relevés topographiques. L’abstraction des lignes de projection cartographique se laisse envahir par des fragments photographiques de paysages, l’organique côtoie le géométrique, le lointain embrasse le proche, et toutes les échelles se télescopent”
Reverse I, II, III, IV et V série de 5 cyanotypes / 21 x 29,7 cm / papier Rivoli 240 gr / tirés à 4 exemplaires / numérotés et signés
Collection cyanotype et feuille d’or / 40 x 50 cm / papier Rivoli 240 gr / tiré à 12 exemplaires / numérotés et signés
Jérôme Maillet & Macula Nigra
S’il dessine depuis toujours, le travail de Jérôme Maillet reste marqué par son parcours d’architecte.
Né en 1979, il se forme à l’ENSAAMA / Olivier de Serres à Paris et complète son cursus à l’École d’Architecture de Nantes, où il vit depuis.
Jérôme Maillet cherche à extraire, dans ce qu’il observe, l’élément qui sera porteur d’universel pour se créer de nouveaux cadres de perception.
Le rapport de l’homme à son territoire est une composante récurrente dans les images qu’il produit. Il explore ainsi nos imaginaires collectifs et nos manières de nous projeter dans un espace pour composer de nouveaux récits.
En atelier ou en dehors, son travail s’articule autour du dessin et de ses champs d’expérimentation. Dessin unique, multiple, échelles et matériaux varient selon le contexte d’intervention. Cette liberté́ donne l’occasion d’inventer de nombreuses collaborations.
Loïc Creff, alias Macula Nigra, élabore un travail de collage et de citation, qui traite à la fois d’utopie et de dystopie, de la posture contrainte de l’homme dans son environnement et de son rapport ambigüe aux images. En exhumant des visuels désuets, extraits d’obscures parutions encyclopédiques oubliées, d’archives ou de trouvailles par sérendipité, Macula Nigra se joue de ces sources iconographiques pour leur donner un nouveau souffle. L’usage premier du medium imprimé (la copie à l’identique & en série) disparait ici au profit d’images uniques et multiples.
Né en 1982, Loïc Creff est diplômé des Beaux-Arts de Rennes en 2007. Il vit et travaille à Rennes, notamment au sein de l’atelier de sérigraphie la Presse Purée et du collectif Le Marché Noir.